Le 7e colloque européen sur la biosécurité, organisé par le Réseau européen de biosécurité (European Biosafety Network, EBN) en partenariat avec l’Ordre national des infirmiers (ONI), s’est tenu à l’Assemblée nationale à Paris le jeudi 18 janvier 2018. Le colloque était axé sur la mise en œuvre et le respect de la Directive européenne de 2010 portant application de l’accord-cadre relatif à la prévention des blessures par objets tranchants en Europe et en France. À cet égard, divers intervenants du secteur de la santé se sont exprimés sur les moyens d’améliorer la conformité avec la directive et l’application des bonnes pratiques. Le public était composé d’infirmiers et infirmières, de professionnels de santé, d’associations professionnelles et de représentants du secteur venus de France et d’Europe. Tous étaient désireux de faire connaître leur point de vue et de partager leur expérience personnelle avec les intervenants et les autres participants.
Le Réseau européen de biosécurité et l’Ordre national des infirmiers espèrent que le succès de ce colloque servira de catalyseur pour poursuivre le dialogue autour des blessures par objets tranchants en France, et nous attendons avec intérêt de voir le ministère français de la Santé, les syndicats et les institutions confirmer leur engagement dans la durée.
Introduction
Dans son allocation d’ouverture, M. Patrick Chamboredon, nouveau président élu de l’ONI, a souligné l’importance de signaler les blessures par piqûre d’aiguille et laissé entendre qu’il fallait redoubler d’efforts pour endiguer le flot de telles blessures en France. D’après M. Chamboredon, les employés du secteur de la santé en France doivent être mieux sensibilisés aux risques de blessures par objets tranchants et pointus. Il faudrait, à cet égard, une approche concertée avec les autorités. M. Chamboredon a déclaré que le colloque offrait une tribune idéale pour discuter de ces sujets et faire avancer les choses.
Chamboredon a ensuite cédé la parole à M. Olivier Véran, député français et organisateur du colloque, qui s’est exprimé devant les participants. Il a également souligné l’importance de signaler les blessures par piqûre d’aiguille aux autorités compétentes, tout en admettant les difficultés inhérentes au cadre actuel en France pour analyser et effectuer un suivi de bout en bout des blessures. En tant que rapporteur général de la Commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale, M. Véran a proposé de soumettre pour discussion à cette Commission les éventuelles propositions de modifications législatives de l’ONI concernant les blessures par piqûres d’aiguilles, un signe plutôt encourageant. Il a également suggéré que ces modifications pourraient être soumises pour consultation aux décideurs politiques chargés de la stratégie de santé nationale en France.
L’assemblée a ensuite entendu Mme Arlette Maerten, une infirmière française blessée par piqûre d’aiguille. Son témoignage a mis en lumière la relative incompréhension que suscitent les blessures par piqûres d’objets tranchants et pointus en France, et la nécessité d’aménager un cadre plus précis pour que les victimes puissent être entendues et être orientées plus facilement. Le témoignage de Mme Maerten a également laissé entendre que la gravité des blessures par piqûre d’aiguille n’était pas interprétée de la même manière par tous en France et qu’il fallait redoubler d’efforts pour rassurer les infirmières, les infirmiers et les autres professionnels de santé sur la capacité des décideurs à comprendre leurs inquiétudes et leurs préoccupations.
Séance no 1 — Directive sur les blessures par objets tranchants, transposition et mise en œuvre dans les pays de l’UE
La première séance était consacrée à la mise en œuvre de la Directive de 2010 sur les blessures par objets tranchants et pointus à l’échelle européenne. Cette séance d’ouverture a permis d’établir un point de référence pour les discussions qui se sont tenues plus tard dans la journée concernant la mise en œuvre de la directive en France et les possibilités pour la France, au regard de sa situation, d’exploiter les enseignements tirés par les autres États membres européens.
M. Ian Lindsley, secrétaire du Réseau européen de biosécurité (EBN) a été le premier à intervenir lors de cette séance. Son exposé a porté sur l’histoire de l’EBN — réseau fondé en 2009 pour assurer le déploiement de la directive dans tous les États membres de l’UE — avant de présenter quelques-unes des difficultés rencontrées au cours des neuf dernières années. M. Lindsley a détaillé les chiffres d’une étude de l’EBN réalisée en 2016 mettant en évidence les différences de niveaux de sensibilisation aux blessures par piqûres d’aiguilles et leur gravité potentielle dans différents pays de l’UE — et ce, trois ans après la transposition de la directive dans le cadre législatif national des États membres respectifs. En conclusion, M. Lindsley a expliqué la nécessité d’intensifier les efforts pour garantir le respect de la directive dans tous les États membres, notamment en ce qui concerne les professionnels qui n’utilisent pas d’objets tranchants ou pointus en milieu hospitalier, comme les travailleurs sociaux et les professionnels de santé indépendants.
Après M. Lindsley, ce fut au tour de Mme Valeria d’Agostini d’intervenir. Représentante de l’unité Santé et Sécurité de la Commission européenne, et avocate au sein de la Direction générale de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion de la Commission, Mme d’Agostini conseille les États membres sur la mise en œuvre de la directive. Sa présentation était ciblée sur les difficultés rencontrées par la Commission pour mettre en œuvre la directive ; notamment pour déterminer les meilleures façons de procéder pour diffuser les bonnes pratiques dans tous les États membres et sensibiliser de manière adéquate les gouvernements nationaux aux risques de blessures par piqûre d’aiguille, alors que ceux-ci ignorent bien souvent les dangers potentiels de ces blessures pour leurs citoyens. Elle a évoqué la disparité des niveaux de conformité au sein des États membres et la nécessité de mettre en place des systèmes de contrôle efficaces pour améliorer les standards et réduire le nombre de blessures.
Mme Maryvonne Nicole, vice-présidente du Comité de santé de la Fédération syndicale européenne des services publics (FSESP), a ensuite pris la parole. La FSESP est la fédération syndicale qui fait autorité pour les travailleurs européens. Elle représente plus de huit millions de personnes et travaille en concertation avec des employeurs, des gouvernements, des institutions européennes et d’autres syndicats. Elle explique que les blessures par piqûres d’aiguilles figurent en bonne place à l’ordre du jour de la FSESP et de la CFDT – Santé Sociaux, syndicat qu’elle conseille sur les questions de santé et de sécurité. Elle a présenté en détail l’étude de la FSESP qui vise à dresser un bilan de l’étendue des blessures par piqûres d’aiguilles en France et des actions de sensibilisation à mener, notamment pour recueillir suffisamment de réponses à l’enquête de la part de l’ensemble des acteurs concernés en France.
Le Dr Gabriella di Carli, de l’Institut national italien des maladies infectieuses, est ensuite intervenue. Elle s’est concentrée spécifiquement sur la mise en œuvre et l’efficacité de la directive en Italie, citant des études italiennes menées sur la prévalence des blessures par piqûres d’aiguilles depuis la mise en œuvre de la directive. Pour le Dr di Carli, la connaissance de la loi est jugée satisfaisante et les sites hospitaliers ont répondu au besoin de renforcement des protections, même si le degré de sensibilisation peut toujours être amélioré. Les blessures par piqûres d’aiguilles ont certes diminué en Italie, mais elles n’ont pas été totalement éradiquées. Le Dr di Carli a laissé entendre que l’amélioration des standards ne dépendait pas uniquement de l’adoption de nouveaux équipements ou de nouvelles ressources ; l’éducation, la formation et l’enthousiasme des professionnels de santé entreraient également en ligne de compte. L’adoption de nouveaux standards doit venir de l’intérieur et ne peut être simplement imposée aux professionnels depuis les hautes sphères.
Dans le même esprit, M. José Luis Cobos Serrano du Conseil des infirmiers espagnols a exposé le point de vue de son pays. Il a ainsi présenté l’activité et les conclusions de l’Observatoire espagnol de la biosécurité qui surveille les centres de soins en Espagne depuis la mise en œuvre de la directive. Les résultats présentés pour l’Espagne se rapprochaient de ceux du Dr di Carli, notamment pour ce qui est de la spectaculaire prise de conscience autour des blessures par piqûres d’aiguilles depuis la transposition de la directive dans la législation nationale en 2013. Les actions doivent cependant se poursuivre afin d’encourager la concertation et la collaboration dans les démarches de prévention des blessures par piqûres d’aiguilles. Les mesures et axes d’améliorations proposés portaient notamment sur le cadre de suivi, les méthodes de formation des professionnels de santé, la communication et les relations entre les différents acteurs de santé, et la formalisation de recommandations et de propositions de modifications de la législation plus concrètes à l’attention des décisionnaires dans le secteur de la santé.
Séance no 2 — Blessures par objets tranchants en France
Cette séance a plus particulièrement porté sur la situation française, notamment la prévalence des blessures par objets tranchants et la manière dont la mise en œuvre de la directive de 2010 pourrait être améliorée dans les hôpitaux et les établissements de santé français. L’auditoire a pu entendre s’exprimer des experts de tout le spectre de la santé en France sur la façon de mieux protéger les professionnels, mais aussi sur la manière dont les employeurs peuvent mieux protéger leur personnel et le rôle déterminant de la technologie dans l’amélioration des règles de prévention.
Yann de Kerguenec, directeur de l’Ordre national des infirmiers, a ouvert cette deuxième séance en présentant les résultats d’une enquête réalisée auprès des infirmiers par l’ONI entre novembre et décembre 2017. Cette enquête visait à faire la lumière sur la prévalence des blessures par piqûres d’aiguilles parmi les membres de l’ONI. Grâce aux 10 782 réponses complètes recueillies, le sondage a fourni des résultats intéressants. 7 325 infirmières et infirmiers ont répondu avoir été directement exposés au sang au cours de leur carrière et 3 559 ont déclaré que leur dernier accident s’était produit dans le cadre de leurs fonctions actuelles. Sur les 7 325 infirmières et infirmiers exposés, 5 537 ont indiqué qu’une blessure par piqûre d’aiguille était à l’origine de l’accident, presque toutes ces personnes s’étant trouvées seules au moment de l’incident. 5 420 infirmières et infirmiers ont laissé entendre que leur accident aurait pu être évité, soit par de meilleures mesures de protection, de meilleurs équipements, de meilleures méthodes de formation, ou une plus grande vigilance en période de stress ou de fatigue. Sur les 7 325 infirmières et infirmiers ayant eu un accident, seuls 4 545 d’entre eux l’avaient signalé. En clair, cela signifie que plus de 3 000 infirmières et infirmiers n’ont rien dit ; pour se justifier, beaucoup ont invoqué un manque de temps ou une méconnaissance du protocole. La plupart des infirmières et des infirmiers ont toutefois laissé entendre qu’ils connaissaient les procédures à suivre en cas d’exposition et déclaré avoir reçu une formation adéquate. Cette enquête a surtout démontré que les blessures par objets tranchants et pointus continuent à se produire de manière assez régulière en France malgré l’introduction de la directive dans la législation nationale en 2013.
Gérard Pélissier du Groupe d’étude sur le risque d’exposition des soignants (GERES) a commenté les résultats de l’enquête en soulignant, détails à l’appui, la cohérence des résultats de l’ONI et du GERES pour ce qui est des blessures par piqûres d’aiguilles. M. Pélissier a cependant précisé que son organisation avait cessé de surveiller régulièrement la prévalence des blessures par piqûres d’objets tranchants et pointus en 2015. Les données dont le Groupe dispose sont par conséquent quelque peu obsolètes et imprécises. L’assistance s’est toutefois réjouie à l’annonce de la reprise de cette surveillance par le GERES pour produire des statistiques plus récentes. Ces chiffres viendront étayer les discussions avec les autorités françaises autour des solutions à adopter pour réduire la prévalence des blessures par piqûres d’aiguilles en France.
Le Dr Pierre Parneix président de la Société française de l’hygiène hospitalière (SF2H) s’est ensuite adressé à l’auditoire. La SF2H œuvre dans le domaine de la promotion des bonnes pratiques de sécurité pour les professionnels de santé. C’est également l’un des porte-parole de la prévention des infections et des accidents chez les professionnels de santé. M. Parneix a évoqué les risques de blessures par piqûres d’aiguilles pour les professionnels de santé français. Comme d’autres intervenants, il a également suggéré la nécessité d’instaurer des mécanismes de signalement plus stricts pour les professionnels qui, bien souvent, ne savent pas comment signaler un accident ou une blessure — parfois par méconnaissance, mais aussi par crainte d’être jugés fautifs. Le Dr Parneix a également appelé à une collaboration renforcée avec les personnes décisionnaires dans la santé pour mieux faire connaître les effets des blessures par piqûres d’objets tranchants en dehors de la sphère médicale.
Nicolas Chandellier, directeur de Becton Dickinson (BD) France — un fabricant de dispositifs médicaux — et membre du conseil d’administration du Syndicat national de l’industrie des technologies médicales (SNITEM), a évoqué le rôle que les nouvelles technologies pourront jouer en France dans la réduction de la prévalence des blessures par piqûres d’aiguilles. Pour M. Chandellier l’accent doit être mis à la fois sur la législation nationale et sur l’utilisation des nouvelles technologies pour que les professionnels de santé puissent constater des effets notables – suggérant par-là que les pays ayant adopté de nouvelles technologies auraient obtenu de bons résultats. La consultation des acteurs du secteur semblait un point important pour M. Chandellier à l’heure où il convient de trouver des solutions pour les blessures subies par les professionnels de santé.
Les derniers intervenants lors de cette deuxième séance furent M. Bernard Gouget de la Fédération hospitalière de France (FHF) et Mme Laetitia Buscoz du Bureau de l’assurance qualité et de l’information médico-économique de l’hospitalisation privée (BAQIMEHP) qui représentaient respectivement les employeurs des secteurs public et privé de la santé. Elles ont ainsi relayé quelques-unes des préoccupations des employeurs en matière de protection des personnels et au sujet des mesures à adopter pour réduire les blessures par piqûres d’aiguilles. Selon les deux intervenants, il faut accompagner le personnel pour l’inciter à se conformer aux procédures de sécurité. Pour les deux intervenants, chaque acteur en amont et en aval de la chaîne de soins se doit de respecter les règles et d’appliquer les bonnes pratiques. Ils ont également évoqué les difficultés à faire appliquer les mêmes règles sur tous les sites, dans la mesure où la réglementation est relativement récente et prête à des interprétations différentes. Outre un appel à plus de formation, ils ont également suggéré des actions de sensibilisation supplémentaires sur l’existence de ce type de blessures par piqûres afin de prévenir les infections et de réduire les taux d’accidents dans le champ de la santé.
Séance no 3 — Table ronde sur la mise en œuvre de la directive sur les objets pointus et tranchants en Europe et en France
Après le déjeuner, l’assistance s’est à nouveau réunie à l’occasion d’une table ronde pour réfléchir sur les moyens qui permettraient à l’avenir de mieux faire appliquer la directive. La table ronde était constituée de deux des intervenants de la matinée, M. Gérard Pélissier du GERES et Mme Laetitia Buscoz du BAQIMEHP, rejoints par le Dr Dominique Abiteboul de l’Institut National de la Recherche Scientifique et le Dr Bernard Gouget de la Fédération hospitalière de France (FHF).
En première partie de cette table ronde, les intervenants ont débattu entre eux des meilleurs moyens de mieux faire respecter la directive. Parmi les arguments avancés, citons l’amélioration de la formation, des systèmes de surveillance et des protocoles de signalement pour le personnel. Comme démontré lors de précédentes allocutions, les professionnels de santé ignorent souvent comment signaler les blessures par piqûres d’aiguilles, même s’ils souhaiteraient le faire. Si tous les intervenants ont admis qu’aucune solution miracle ne permet d’éradiquer les blessures par piqûres d’aiguilles en France, une approche collaborative et progressive s’impose néanmoins pour faire évoluer les règles dans tous les domaines. La réduction de la prévalence des blessures par piqûres d’aiguilles en France relève de la responsabilité de tous les acteurs de la santé — professionnels, employeurs, industrie et syndicats.
En seconde partie de table ronde, les intervenants ont répondu aux questions de l’auditoire. Les participants ont tenu à livrer leurs témoignages avec un enthousiasme certain. Manifestement, la ferveur du débat qui a suivi sur les blessures par piqûre d’aiguille — et la protection des professionnels de santé en général — témoigne de la passion que suscite le sujet chez les infirmières et infirmiers français, et les autres professionnels de santé. Dans les témoignages, le thème de la responsabilité des infirmières et infirmiers libéraux qui ne sont rattachés à aucun hôpital et ne sont, à l’heure actuelle, pas couverts par la directive, est revenu de manière récurrente. Ils ont ainsi expliqué qu’en cas de blessures avec des objets tranchants et pointus, aucun système de signalement n’existe. Les intervenants ont reconnu la nécessité d’instaurer des mécanismes de signalement plus complets et des dispositifs de protection pour les infirmières et infirmiers indépendants, ainsi que pour celles et ceux qui ne travaillent pas exclusivement dans le champ sanitaire, mais qui utilisent encore régulièrement des objets tranchants et pointus, notamment dans le secteur médico-social.
Conclusion
Patrick Chamboredon, président de l’ONI, a clôturé le colloque à l’issue de la table ronde en se satisfaisant du succès de la manifestation. Il a expliqué qu’il s’agissait là d’une occasion idéale pour sensibiliser au niveau national sur la réalité des blessures par piqûres d’objets tranchants et, par extension, sur la protection des professionnels de santé en France. Il a émis le souhait que le colloque suscite davantage de dialogue avec les responsables dans le champ de la santé et, qu’au travers de l’engagement soutenu avec M. Olivier Véran et son équipe, les questions relatives à la législation en matière de protection des professionnels de santé en France et en Europe puissent être abordées.
L’EBN et l’ONI tiennent à remercier tous les participants et se réjouissent de la perspective que de prochains événements dans ce domaine puissent se tenir.
Vous pouvez télécharger ci-dessous les présentations des intervenants.